Le quartier d’Harajuku était, comme beaucoup de quartiers Tokyoites, unique en son genre. On y voyait toutes sortes de personnes vêtues des plus originales des façons, de la mode Punk ou Lolita, en passant par tous les styles gothiques et métalleux, et bien sûr, les cosplays. En passant devant certains établissements, boutiques ou cafétérias, on pouvait même entendre divers styles de musiques enivrantes et rythmées depuis les trottoirs.
Le Skin’Graphic en faisait partie. Une playlist de Cryoshell était diffusée dans le salon aux murs couverts de dessins impressionnants et aux sièges noirs, où travaillaient en tout trois tatoueurs ; Atsuko, Ginger et Haru. La première était déjà partie depuis près d’une heure, en cette fin de journée assez calme. Ginger s’apprêtait à faire de même ; après avoir rassemblé ses affaires, elle alla frapper à l’une des trois portes au fond du salon.
« Haru ? »
Dans le petit bureau, assis sur sa chaise, le jeune homme leva les yeux de son carnet à spirales et posa son critérium. Au salon, tout le monde l’appelait Haru, que ce soit ses collègues ou ses clients ; c’était devenu son pseudonyme de tatoueur, au fil du temps. Dans la vie de tous les jours, c’était simplement Zacharie.
« Ouais ? »
La femme aux cheveux rouge sang et à l’accoutrement multicolore entrouvrit la porte pour y passer la tête. Elle avait aussi beaucoup de piercings.
« J’y vais ! Tu restes encore ? »
« Oui, j’aime pas m’interrompre pour rentrer plus tôt quand je suis sur un croquis, » répondit le jeune homme.
Ginger hocha la tête, mais demanda tout de même d’un ton un peu soucieux :
« Tout va bien ? »
« Moi ? J’ai l’air d’aller mal ? »
« Non, pas forcément mal, mais t’as l’air nerveux en ce moment. »
Zacharie haussa les épaules et les mains. « La ménopause. »
La jeune femme éclata de rire, prise au dépourvu par la réponse de son collègue. « D’accord, alors je vais te laisser réfléchir à ta virilité perdue, si je la croise je te fais signe ! »
Pour toute réponse, Zacharie lui tira la langue. Tout comme à chacune de ses oreilles, il avait un piercing à cet endroit-là. Ginger fit de même, sourit, puis referma la porte, laissant le jeune homme seul dans le bureau.
Après un instant de silence, ce dernier soupira longuement, se leva et s’étira, les bras au-dessus de la tête. Il jeta ensuite un regard circulaire à la pièce où il avait l’habitude de travailler lorsqu’il le pouvait, c’est-à-dire lorsque quelqu’un d’autre n’y était pas, que ce soit pour travailler tout comme lui le faisait en ce moment, ou bien pour tatouer quelqu’un. La pièce était dédiée à cela ; il y avait bien sûr un grand siège inclinable avoisinant le dermographe, mais aussi d’innombrables aiguilles de tailles et de formes différentes protégées par des emballages hermétiques, et des flacons contenant les encres de toutes les couleurs. On trouvait également des produits d’hygiène remplissant le comptoir et les étagères.
C’était là son univers, dans lequel Zacharie aimait se retrouver et se sentait chez lui. Seulement, depuis un certain temps, il ne s’y sentait plus exactement comme avant. Il était effectivement devenu méfiant, tendu, et plus observateur. À la limite de la paranoïa, à vrai dire. Mais cela ne venait pas de nulle part, loin de là ; deux semaines auparavant, une fille étrange avait commencé à lui envoyer des SMS.
« T’es qui ? » Lui avait-il d’abord demandé, ce à quoi elle avait répondu « une admiratrice secrète ;) »
Depuis, elle ne cessait de commenter ses créations ainsi que son travail sur les clients. En bien, certes. Mais sauf que Zacharie ne l’avait jamais vue, et qu'elle le complimentait sur des choses qu'il exécutait pendant ses séances de travail. Or, peu de gens l'observaient dans ces moments, à part son client et d'éventuels accompagnateurs venus soutenir leurs proches dans l'épreuve de l'aiguille.
Cette situation était pour le moins stressante et bizarre ; il se savait observé, avait sans cesse envie de se retourner où qu’il se trouve, mais ignorait totalement d’où pouvait bien venir ce regard qui l’épiait. Il en était même venu à penser que des caméras avaient été posées dans le salon, qu’il avait donc inspecté avec attention. Mais rien, que nenni ! Pas un seul objectif suspect dans le moindre coin de mur.
Je vais devenir dingue, se dit-il en frottant sa tempe marquée d’une cicatrice. Si ça se trouve, je suis sur écoute. Ils vont se jeter sur moi avec des flingues pendant la nuit pour me mettre un sac à patate sur la tête, je serai enfermé dans une cellule et ils me pèteront les bras.
« Je veux pas qu’on me pète les bras ! » soupira-t-il en se rasseyant dans sa chaise.
Le jeune homme tenta de rester rationnel. Après tout, ce n’était que des messages envoyés par une fille admirant son travail. Enfin, apparemment. Même s’il ne l’avait jamais vue, mais qu’elle semblait pouvoir le voir à n’importe quel moment, surtout quand il s’y attendait le moins, il n’y avait aucune raison de paniquer.
Enfin, je crois.
D’ailleurs, Zacharie se fit la réflexion que s’il n’avait pas encore bloqué son numéro, cela voulait dire qu’il ne se sentait pas si menacé, au fond. À vrai dire, il ressentait une étrange curiosité qui grandissait à chaque message qu’il recevait d’elle, et c’était probablement cette curiosité qui l’avait empêché de couper toute communication.
Un léger sourire s’aventura même sur son visage alors que sa main ressaisissait son crayon et qu’il reprenait son esquisse là où il l’avait laissée. Ce dessin, il ignorait encore s’il allait l’intégrer à son livre des modèles qu’il présentait à ses clients. Le motif représentait une silhouette androgyne se tenant debout, une jambe légèrement pliée, un bras levé dans un arc harmonieux. Ses membres fins s’entrelaçaient avec les longs doigts d’une main gigantesque en comparaison. Le dessin ne dégageait aucun sentiment de menace malgré cette scène peu commune ; on aurait dit que les deux êtres exécutaient une sorte de danse.
Zacharie aimait bien ce croquis. Il était personnel, faisait un peu partie de son histoire et de ses croyances, ainsi que de ses espoirs. Décidant qu’il avait passé assez de temps sur les traits d’esquisses, il ouvrit un tiroir pour en sortir une plume d’acier et un flacon d’encre de Chine. Il avait cette fois oublié ses étranges échanges avec sa correspondante mystère, et était actuellement loin de se douter qu’il était encore épié.
Le Skin’Graphic en faisait partie. Une playlist de Cryoshell était diffusée dans le salon aux murs couverts de dessins impressionnants et aux sièges noirs, où travaillaient en tout trois tatoueurs ; Atsuko, Ginger et Haru. La première était déjà partie depuis près d’une heure, en cette fin de journée assez calme. Ginger s’apprêtait à faire de même ; après avoir rassemblé ses affaires, elle alla frapper à l’une des trois portes au fond du salon.
« Haru ? »
Dans le petit bureau, assis sur sa chaise, le jeune homme leva les yeux de son carnet à spirales et posa son critérium. Au salon, tout le monde l’appelait Haru, que ce soit ses collègues ou ses clients ; c’était devenu son pseudonyme de tatoueur, au fil du temps. Dans la vie de tous les jours, c’était simplement Zacharie.
« Ouais ? »
La femme aux cheveux rouge sang et à l’accoutrement multicolore entrouvrit la porte pour y passer la tête. Elle avait aussi beaucoup de piercings.
« J’y vais ! Tu restes encore ? »
« Oui, j’aime pas m’interrompre pour rentrer plus tôt quand je suis sur un croquis, » répondit le jeune homme.
Ginger hocha la tête, mais demanda tout de même d’un ton un peu soucieux :
« Tout va bien ? »
« Moi ? J’ai l’air d’aller mal ? »
« Non, pas forcément mal, mais t’as l’air nerveux en ce moment. »
Zacharie haussa les épaules et les mains. « La ménopause. »
La jeune femme éclata de rire, prise au dépourvu par la réponse de son collègue. « D’accord, alors je vais te laisser réfléchir à ta virilité perdue, si je la croise je te fais signe ! »
Pour toute réponse, Zacharie lui tira la langue. Tout comme à chacune de ses oreilles, il avait un piercing à cet endroit-là. Ginger fit de même, sourit, puis referma la porte, laissant le jeune homme seul dans le bureau.
Après un instant de silence, ce dernier soupira longuement, se leva et s’étira, les bras au-dessus de la tête. Il jeta ensuite un regard circulaire à la pièce où il avait l’habitude de travailler lorsqu’il le pouvait, c’est-à-dire lorsque quelqu’un d’autre n’y était pas, que ce soit pour travailler tout comme lui le faisait en ce moment, ou bien pour tatouer quelqu’un. La pièce était dédiée à cela ; il y avait bien sûr un grand siège inclinable avoisinant le dermographe, mais aussi d’innombrables aiguilles de tailles et de formes différentes protégées par des emballages hermétiques, et des flacons contenant les encres de toutes les couleurs. On trouvait également des produits d’hygiène remplissant le comptoir et les étagères.
C’était là son univers, dans lequel Zacharie aimait se retrouver et se sentait chez lui. Seulement, depuis un certain temps, il ne s’y sentait plus exactement comme avant. Il était effectivement devenu méfiant, tendu, et plus observateur. À la limite de la paranoïa, à vrai dire. Mais cela ne venait pas de nulle part, loin de là ; deux semaines auparavant, une fille étrange avait commencé à lui envoyer des SMS.
« T’es qui ? » Lui avait-il d’abord demandé, ce à quoi elle avait répondu « une admiratrice secrète ;) »
Depuis, elle ne cessait de commenter ses créations ainsi que son travail sur les clients. En bien, certes. Mais sauf que Zacharie ne l’avait jamais vue, et qu'elle le complimentait sur des choses qu'il exécutait pendant ses séances de travail. Or, peu de gens l'observaient dans ces moments, à part son client et d'éventuels accompagnateurs venus soutenir leurs proches dans l'épreuve de l'aiguille.
Cette situation était pour le moins stressante et bizarre ; il se savait observé, avait sans cesse envie de se retourner où qu’il se trouve, mais ignorait totalement d’où pouvait bien venir ce regard qui l’épiait. Il en était même venu à penser que des caméras avaient été posées dans le salon, qu’il avait donc inspecté avec attention. Mais rien, que nenni ! Pas un seul objectif suspect dans le moindre coin de mur.
Je vais devenir dingue, se dit-il en frottant sa tempe marquée d’une cicatrice. Si ça se trouve, je suis sur écoute. Ils vont se jeter sur moi avec des flingues pendant la nuit pour me mettre un sac à patate sur la tête, je serai enfermé dans une cellule et ils me pèteront les bras.
« Je veux pas qu’on me pète les bras ! » soupira-t-il en se rasseyant dans sa chaise.
Le jeune homme tenta de rester rationnel. Après tout, ce n’était que des messages envoyés par une fille admirant son travail. Enfin, apparemment. Même s’il ne l’avait jamais vue, mais qu’elle semblait pouvoir le voir à n’importe quel moment, surtout quand il s’y attendait le moins, il n’y avait aucune raison de paniquer.
Enfin, je crois.
D’ailleurs, Zacharie se fit la réflexion que s’il n’avait pas encore bloqué son numéro, cela voulait dire qu’il ne se sentait pas si menacé, au fond. À vrai dire, il ressentait une étrange curiosité qui grandissait à chaque message qu’il recevait d’elle, et c’était probablement cette curiosité qui l’avait empêché de couper toute communication.
Un léger sourire s’aventura même sur son visage alors que sa main ressaisissait son crayon et qu’il reprenait son esquisse là où il l’avait laissée. Ce dessin, il ignorait encore s’il allait l’intégrer à son livre des modèles qu’il présentait à ses clients. Le motif représentait une silhouette androgyne se tenant debout, une jambe légèrement pliée, un bras levé dans un arc harmonieux. Ses membres fins s’entrelaçaient avec les longs doigts d’une main gigantesque en comparaison. Le dessin ne dégageait aucun sentiment de menace malgré cette scène peu commune ; on aurait dit que les deux êtres exécutaient une sorte de danse.
Zacharie aimait bien ce croquis. Il était personnel, faisait un peu partie de son histoire et de ses croyances, ainsi que de ses espoirs. Décidant qu’il avait passé assez de temps sur les traits d’esquisses, il ouvrit un tiroir pour en sortir une plume d’acier et un flacon d’encre de Chine. Il avait cette fois oublié ses étranges échanges avec sa correspondante mystère, et était actuellement loin de se douter qu’il était encore épié.